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vendredi 28 février 2014

Vous n'aimez pas les enfants...ça tombe bien les artistes non plus !


    L'enfant moche de la première Renaissance italienne et des plus fins portraits de l'art flamand a la vie dure. Même Jésus, enfant sacré est malmené avec des disproportions ou autres sourires ravageurs qui font ricaner les profanes. L'anatomie, les attitudes sont calquées sur celles des adultes et il n'est pas rare de voir des figures de Christ à l'anatomie musculeuse (Vierge à l'Enfant de Cimabue, vers 1294, Museo Santa Verdiana, Castelfiorentino, Florence) ou encore dont le visage semble déjà buriné par les ans.

Cimabue, Vierge à l'Enfant, vers 1284, Museo de Santa Verdiana, Castelfiorentino, Florence


Jan Van Eyck, La Vierge au chanoine van der Paele (détail), vers 1435, Groeningmuseum, Bruges

Pourtant certains peintres,dans un soucis de vérité, ont donné de l'Enfance un portrait tantôt féroce, tantôt glorieux ou tantôt d'une humanité profonde. La représentation de l'enfant en peinture en tant qu’individu et non pas comme une figure allégorique, mythologique ou christique est assez peu développée aux époques anciennes. Des figures poupines commencent à apparaître dans les plus puissantes maisons avec le développement de l'art du portrait au XVe siècle. Giovanni de Médicis enfant par le peintre Angolo Bronzino est un chef d'oeuvre du genre (1575, Galleria degli Uffizi, Florence).

Agnolo Bronzino, Giovanni de Médicis enfant, 1575, Galleria Degli Uffizi, Florence

  Lorsqu'il sont représentés seuls, les enfants sont le plus souvent les héritiers d'un puissant domaine, d'une célèbre famille ou d'une grande fortune. Une sorte de fascination pour l'enfance, comme âge de l’innocence, prend forme avec la transmission des idées des Lumières. Ainsi, des figures comme l'Enfant à la cage du sculpteur Jean-Baptiste Pigalle (Salon de 1750, Musée du Louvre), dépasse la simple individualité de l'enfant représenté (ici, un enfant de la famille de la marquise de Pompadour) pour définir une sorte de vérité de ce premier état d'homme.

Jean-Baptiste Pigalle, L'Enfant à la cage, Salon de 1750, Musée du Louvre, Paris

  Les enfants, représentés en groupe, et donc comme unité non différenciée, sont des acteurs fréquents des scènes de genre. Les peintres naturalistes ou misérabilistes vont s'emparer de ce thème. Les enfants des rues d'Esteban Murillo montrés en lambeaux, édentés et pleins de puces sont le reflet d'une société malade qui ne peut pas prendre en charge les plus faibles (Les mangeurs de tartes, 1662-1672, Alte Pinacothek, Munich).

Esteban Murillo, Les mangeurs de tartes, 1662-1672, Alte Pinacothek, Munich

  Mais pendant que certains meurent de faim, d'autres se gavent et vont même faire représenter leur progéniture en divinités grecques, dans une nudité héroïque jugée aujourd'hui comme ridicule voire vicieuse. On ne citera que l'exemple de Napoleone Elisa en Hébé, une statue de marbre de Lorenzo Bartolini (1812, présentée récemment à l'exposition Portraits Publics/Portraits Privés, Musée des Beaux-arts de Rennes), assez parlant à lui seul.

Lorenzo Bartolini, Napelone Elisa en Hébé ou avec son chien, Musée des Beaux-Arts de Rennes

  Le regard de la paternité se glisse aussi plus rarement dans les témoignages laissés par les artistes sur l'enfance. Rubens fit de nombreux portraits de ses enfants avec un charme tout particulier, qui n'a d'écho que le portrait de leurs mères (Rubens eu des enfants de deux femmes différentes; Portrait de Clara Serena Rubens, 1616, Collections du Duc du Lichtenstein).

Pierre-Paul Rubens, Portrait de Clara Serena Rubens, 1616, Collections du Duc du Lichtenstien

A l’avènement de l'air industrielle, l'enfant devient spectateur de la révolution de la machine et de l'avenir qu'il lui est promis. C'est du moins ainsi que l'on a l'habitude de présenter la petite fille de dos, comme plongée dans une sorte de mélancolie devant La Gare Saint Lazare d'Edouard Manet (1872, National Gallery, Washington).  
      
Edouard Manet, La Gare Saint-Lazare, 1872, National Gallery, Washington



L'artiste et l'atelier: œuvres choisies

   De l'Antiquité à nos jours l'atelier et sa représentation ont connu une évolution corollaire à celle du statut de l'artiste. L'atelier ne devient un espace privé appartenant à l'artiste que tardivement ce qui explique peut-être que les représentations soient peu affirmées dans la peinture avant le XVe siècle. Sur la voie de son émancipation, l'artiste conquiert son espace et la représentation de l'atelier devient son reflet et celui de son art jusqu'à l'allégorie. Une véritable société gravite autour de ce lieu et son portrait devient celui d'une époque. Après une certaine sacralisation, l'atelier est cependant délaissé dès le XIXe siècle, étant considéré comme une part du folklore artistique. Alors que certains artistes le boudent à la recherche d'une nouvelle vérité picturale, d'autres cherchent au contraire à l'exalter pour lui donner une forme nouvelle qui dépasse le cadre de la peinture.


Le cas Vermeer: 
L'allégorie de la peinture ou l'Atelier, vers 1650-1675, Kunsthistorisches Museum, Vienne 



  On sait bien peu de choses sur Johannes Vermeer, né dans la ville de Delft en 1632. Il n'a laissé qu'une trentaine de tableaux à la postérité, tous sur le même modèle de cet intérieur des Flandres éclairé par la lumière d'une fenêtre, toujours à gauche. Peintre de talent, il ne rencontra pourtant pas le succès et dû même se résoudre à vendre des œuvres qu'il se destinait (comme cette Allégorie de la Peinture) pour assurer sa subsistance.
   Quant Vermeer se prête au jeu de l'allégorie, il le fait à grand renfort de symboles, d'éléments dont la signification ne nous est parfois pas parvenue (Allégorie de la Foi, vers 1670-1674, Metropolitan Museum, New-York). Dans cette oeuvre, la jeune femme drapée au visage angélique est assimilée faute de mieux à la muse de l'histoire Clio portant la trompette, la couronne de laurier et un livre, L'Iconologia de Cesare Ripa. La jeune femme est l'un des principaux modèles de Vermeer, la même que celle représentée dans la très gracieuse Jeune fille à perle (vers 1665, La Haye). 
   Sur le mur du fond, un carte des Pays-Bas, bordée des vues des principales villes. L’intérêt de Vermeer pour la cartographie et les sciences géographiques est bien connu (Le Géographe, Francfort et L'Astronome, Musée du Louvre). Dans L'officier et la jeune fille riant (1658, Collection Frick, New-York), une carte orne aussi le fond de la salle. La critique s'accorde sur le fait que le peintre de dos n'est autre que Vermeer lui-même, en praticien et homme de son temps. Vermeer fait de l'atelier, un lieu de science et d'histoire là où se cristallise l'art du peintre et  l'ambition de sa renommée. 


Le cas Courbet: 
L'Atelier du peintre ou allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique
1855, Musée d'Orsay, Paris



       L'insolence de Courbet est légendaire et l'homme peut se targuer d'avoir été un des peintres les plus culotté du XIXe siècle. Il finit même à la prison de Sainte-Pélagie pendant la Commune pour avoir tenté de  déboulonner la colonne Vendôme (Autoportrait à Sainte-Pélagie, 1871, Musée Courbet, Ornans). C'est donc sans complexe que le trublion arriva devant le jury de l'exposition universelle de 1855 avec ce tableau de 6 mètres sur 3, dont la monumentalité n'est là que pour servir l'exaltation de l'artiste. Ce coup d'éclat fut assorti d'un refus qui conduisit le peintre à présenter l'oeuvre dans son propre Pavillon du Réalisme en marge de l'exposition. 

"C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi".  

  Et en effet que de monde dans ce grand intérieur ! Du côté gauche, le peuple, la misère, la pauvreté, les exploités et les exploiteurs et du côté droit, les amateurs du monde de l'art, la famille, les amis et les acheteurs. Pour l'anecdote, on reconnait à gauche Napoléon III en chasseur et à droite Baudelaire lisant ou encore Proudhon, dont Courbet se réclame le disciple. Courbet nous fait part ici de son Jugement Dernier dont il est comme le Christ à la fois la figure centrale et l'arbitre. 
  Il affirme la place centrale de l'artiste dans la société moderne mais fait aussi de cette oeuvre un manifeste esthétique.  L'académisme est mis au placard comme le suggère la figure désarticulée derrière le paysage sur lequel le peintre travaille. Courbet lui préfère le réalisme: les paysages des environs d'Ornans, la chair plantureuse presque rubénienne des jeunes filles et la fraîcheur de l'enfance.
   Aussi mégalomaniaque qu'on ai pu le dire, cette oeuvre majeure de Courbet est avant tout le manifeste d'une nouvelle esthétique artistique et du passage de l'art dans la modernité. 

Le cas Breton : Le mur de l'atelier, MNAM, Paris

« Et d'ailleurs la signification propre d'une œuvre n'est-elle pas, non celle qu'on croit lui donner, mais celle qu'elle est susceptible de prendre par rapport à ce qui l'entoure ? », Les Pas Perdus.

  Le pape du Surréalisme a fait du mur de son studio de la rue Fontaine (IXe arrondissement, Paris) une véritable oeuvre d'art. Ce microcosme relate l'aventure de sa vie et du mouvement surréaliste. La toile de Francis Picabia en haut à gauche présente les débuts du mouvement et celle de Juan Miro au centre son accomplissement. André Breton jugeait Miro comme étant " plus surréaliste de nous tous" et confirme cet hommage dans son intérieur. Autour,  des objets primitifs (Afrique, Nouvelles Hybrides), hétéroclites, symbolisent le terreau créatif dans lequel l'artiste puise son répertoire de formes. Cette accumulation est aussi le fruit de ses voyages et de son expérience personnelle. Comme garante de cette intimité exposée au grand jour, une photographie de la dernière femme de Breton, Elisa est placée en l'exact milieu de la composition. Breton fait de son mur, recomposé pour être exposé au Centre Pompidou, l'épicentre de son activité artistique, poétique et intime. L'atelier n'est plus représenté, il "fait" oeuvre d'art.  

The Happy Show





    The Happy Show

Gaîté Lyrique

Du 28 novembre 2013 au 9 mars 2014


  

  Le Happy Show quelle déception....

                J'ai décidé cette semaine d'aller faire un tour dans cet établissement, m'étant resté  jusque ici relativement mystérieux, qu'est la Gaîté Lyrique. Le succès de l'exposition de Stefan Sagmeister, originellement créateur de jaquettes de CD autrichien, est entériné. Et c'est d'ailleurs sous la pression des critiques les plus élogieuses que je me suis conformée à l'idée que le concept était séduisant et que j'allais passer un moment fort agréable dans ce Happy Show

                Le but de l'exposition ne se veut pas une recherche du bonheur mais plutôt une analyse de ses mécanismes à partir de l'expérience et des idées de Stefan Sagmeister. Amour, sexe, argent, drogues, méditation sont ainsi catégorisés, mis en statistiques, en organigrammes sur de grands panneaux jaunes dont écriture grasse et figures en pictogramme rappellent certains outils pédagogiques destinés à l'enseignement des plus jeunes. Ponctués de phrases positives, ces panneaux n'ont qu'un seul but vous montrer que finalement si vous vous reconnaissez là dedans c'est parce que vous êtes un peu le même que tout ces braves gens agglutinés, que vous observez avec le regard du mépris depuis qu'ils vous ont malmené dans les escaliers.


Stefan Sagmeister, Actually Doing The Things I Set Out to Do Increase
My Overall Level of Satisfaction
, 2012
exposition à l'Université de Pennsylvanie 
                Passer un agréable moment, c'était donc sans compter sur cette foule compacte, que fuit à grandes enjambées tout historien de l'art, composée ce jour là des deux pires catégories sociales qui évoluent dans l'univers muséal. J'ai nommé les adolescents hystériques, boutonneux tendance bonnet Wasted vissé sur le crâne et les dames âgées, à qui ma foi on doit le respect des anciens mais qui restent trop proches des panneaux, trop proches des écrans, trop proches de vous et qui ne savent pas bien ce qu'elles sont venues faire dans une exposition consacrée à un bonheur, qu'elles ne le cherchent plus... Imaginez maintenant ces deux entités sociales dans le contexte de l'exposition pour comprendre ce que j'ai pu voir dans My overall level of satisfaction, une pièce où tout le dispositif est basé sur le bénévolat d'un visiteur pédalant comme une dératé sur un vélo fixé à une estrade. Ou comment une idée brillante peut sombrer dans le chaos...




Installation devenue l'archétype de la célèbre
maxime : "Pas de bras, pas de chocolat"
                Bref, pour apprécier le Happy Show il fallait donc jouer des coudes, ce qui me semble déjà d'emblée totalement antinomique avec le concept de bonheur et même de confort. Une part des installations tout au long du parcours est basée sur le bonheur par la récompense et le don, de bonbons, de cartes et même d'argent (par un circuit ingénieux qui fait que les visiteurs du haut ravitaillent en liquidités ceux de l'étage inférieur sans s'en douter). Le problème c'est que vu l'afflux, point de carte, point de bonbons et des plateaux vides. C'est un peu ce qu'on devra retenir de cette exposition...
Un don du néant.


                Il faut cependant tempérer cette critique exacerbée pour souligner que pour une fois, une exposition se veut participative, évolutive, cumulant les supports et surtout éminemment positive. Même si rien de transcendant ne ressort des œuvres de Sagmeister, on y perçoit une vie et une force simple qui est celle du bonheur du quotidien. On notera les séries de photographies comme, Drugs are Fun in the Beginning but becomes a Drag later On ou Everything i Do Comes Back to Me qui sont à mon sens assez réussies, démontrant les talents de graphistes de Sagmeister. L'idée même d'un certaine filiation dans le projet avec pour but ultime la sortie un long métrage, The happy film,  est assez séduisante. En définitive, The Happy Show est loin d'être une mauvaise exposition mais il faudrait pour le comprendre qu'il soit possible de jouir de son contenu.

Everything I do Comes Back to Me, première photographie

C'est là la critique majeure qu'il faut faire à la Gaîté Lyrique. Nous savons tous que le milieu culturel est en souffrance mais est-ce une raison pour ne pas respecter des quotas de nombres de personnes au mètre carré? N'est-il pas contre-performatif d'observer une telle attitude mercantile dans une exposition dont le contenu se veut être une approche du bonheur de l'homme?

                Je suis rentrée chez moi, agacée. En m'asseyant sur mon clic-clac Ikea, j'ai allumé une cigarette et en regardant le ciel de fin d'hiver par la fenêtre, j'ai retrouvé le sourire en me disant que heureusement mon Happy Show à moi était juste là et maintenant.


            

vendredi 1 novembre 2013

La Tour 13 ou de la démocratisation de l'art


La Tour 13, depuis Quai de la Gare, octobre 2013

Après avoir tenté de visiter l'exposition sur le Street art au Musée de la Poste l'été dernier et ayant trouvé un foule bigarrée, compacte et consensuelle à l'entrée du bâtiment, j'ai encore une fois renouvelé cette triste expérience en voulant me rendre à la Tour 13.

          Un petit panneau devant l'édifice annonce sardoniquement "3 heures d'attente à partir de ce point". De quoi vous donner des relents d'Edward Hopper au Grand Palais ou des heures de pointe de l'exposition Dali à Pompidou.

           Non content de faire le tour du web avec des teaser et tout le toutim, cette tour investie par des street artists, devenus des bons praticiens indoor pour l'occasion, fait le buzz sur les réseaux sociaux engendrant des adhésions par milliers. Ah ça on a su créer l’événement, vous n'avez qu'un mois avant la destruction pour visiter ce que certaines brèves osent nommer "la Sixtine du street art".

     L'expérience d'investir un immeuble de la sorte n'est pas nouvelle et on peut se féliciter que lors de sa décoration il y a quelques années La Jarry n'ai pas suscité le même engouement permettant aux amateurs éclairés ou simples passants de bénéficier d'un espace vital suffisant à la visite sans être confrontés à un staff de vigiles en très seyants Kway orange.

     On peut louer ce processus de démocratisation culturelle, apprécier que le mouvement autrefois marginal du street art devienne la voix du consensus, l'art d'une époque...On peut aussi la dénigrer cordialement et constater que l'art de masse perdure comme une réalité de nos sociétés.

      La définition que Robert Hamilton donna voilà 60 ans du pop art " populaire, éphémère, consommable, spirituel, sexy, futé, séduisant, du big buisness" semble indécrottable d'une partie de la création contemporaine.

       Admettre que la banalisation de l'art entraîne une perte de sens et de valeur est probablement à contre-courant mais il s'agit du seul rempart existant contre certaines foules toujours plus nombreuses de moutons de Panurge consommant de l'art, comme il consomme le nouveau jus édition limité Tropicana.

      Ce qui aurait pu être une belle expérience est venu confirmer mes pires craintes d'historienne de l'art.

Je n'irai plus voir d'exposition de street art, l'oxymore a fini par me lasser....