De
l'Antiquité à nos jours l'atelier et sa représentation ont connu une évolution corollaire à celle du statut de l'artiste. L'atelier ne devient un espace privé
appartenant à l'artiste que tardivement ce qui explique peut-être que les
représentations soient peu affirmées dans la peinture avant le XVe siècle. Sur
la voie de son émancipation, l'artiste conquiert son espace et la
représentation de l'atelier devient son reflet et celui de son art jusqu'à
l'allégorie. Une véritable société gravite autour de ce lieu et son portrait
devient celui d'une époque. Après une certaine sacralisation, l'atelier est cependant délaissé dès
le XIXe siècle, étant considéré comme une part du folklore artistique.
Alors que certains artistes le boudent à la recherche d'une nouvelle vérité
picturale, d'autres cherchent au contraire à l'exalter pour lui donner une
forme nouvelle qui dépasse le cadre de la peinture.
Le cas Vermeer:
L'allégorie de la peinture ou l'Atelier, vers 1650-1675, Kunsthistorisches Museum, Vienne
On sait bien peu de choses sur Johannes Vermeer, né dans la ville de Delft en 1632. Il n'a laissé qu'une trentaine de tableaux à la postérité, tous sur le même modèle de cet intérieur des Flandres éclairé par la lumière d'une fenêtre, toujours à gauche. Peintre de talent, il ne rencontra pourtant pas le succès et dû même se résoudre à vendre des œuvres qu'il se destinait (comme cette Allégorie de la Peinture) pour assurer sa subsistance.
Quant Vermeer se prête au jeu de l'allégorie, il le fait à grand renfort de symboles, d'éléments dont la signification ne nous est parfois pas parvenue (Allégorie de la Foi, vers 1670-1674, Metropolitan Museum, New-York). Dans cette oeuvre, la jeune femme drapée au visage angélique est assimilée faute de mieux à la muse de l'histoire Clio portant la trompette, la couronne de laurier et un livre, L'Iconologia de Cesare Ripa. La jeune femme est l'un des principaux modèles de Vermeer, la même que celle représentée dans la très gracieuse Jeune fille à perle (vers 1665, La Haye).
Sur le mur du fond, un carte des Pays-Bas, bordée des vues des principales villes. L’intérêt de Vermeer pour la cartographie et les sciences géographiques est bien connu (Le Géographe, Francfort et L'Astronome, Musée du Louvre). Dans L'officier et la jeune fille riant (1658, Collection Frick, New-York), une carte orne aussi le fond de la salle. La critique s'accorde sur le fait que le peintre de dos n'est autre que Vermeer lui-même, en praticien et homme de son temps. Vermeer fait de l'atelier, un lieu de science et d'histoire là où se cristallise l'art du peintre et l'ambition de sa renommée.
Le cas Courbet:
L'Atelier du peintre ou allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique,
1855, Musée d'Orsay, Paris
L'insolence de Courbet est légendaire et l'homme peut se targuer d'avoir été un des peintres les plus culotté du XIXe siècle. Il finit même à la prison de Sainte-Pélagie pendant la Commune pour avoir tenté de déboulonner la colonne Vendôme (Autoportrait à Sainte-Pélagie, 1871, Musée Courbet, Ornans). C'est donc sans complexe que le trublion arriva devant le jury de l'exposition universelle de 1855 avec ce tableau de 6 mètres sur 3, dont la monumentalité n'est là que pour servir l'exaltation de l'artiste. Ce coup d'éclat fut assorti d'un refus qui conduisit le peintre à présenter l'oeuvre dans son propre Pavillon du Réalisme en marge de l'exposition.
"C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi".
Et en effet que de monde dans ce grand intérieur ! Du côté gauche, le peuple, la misère, la pauvreté, les exploités et les exploiteurs et du côté droit, les amateurs du monde de l'art, la famille, les amis et les acheteurs. Pour l'anecdote, on reconnait à gauche Napoléon III en chasseur et à droite Baudelaire lisant ou encore Proudhon, dont Courbet se réclame le disciple. Courbet nous fait part ici de son Jugement Dernier dont il est comme le Christ à la fois la figure centrale et l'arbitre.
Il affirme la place centrale de l'artiste dans la société moderne mais fait aussi de cette oeuvre un manifeste esthétique. L'académisme est mis au placard comme le suggère la figure désarticulée derrière le paysage sur lequel le peintre travaille. Courbet lui préfère le réalisme: les paysages des environs d'Ornans, la chair plantureuse presque rubénienne des jeunes filles et la fraîcheur de l'enfance.
Aussi mégalomaniaque qu'on ai pu le dire, cette oeuvre majeure de Courbet est avant tout le manifeste d'une nouvelle esthétique artistique et du passage de l'art dans la modernité.
Le cas Breton : Le mur de l'atelier, MNAM, Paris
« Et d'ailleurs la signification propre d'une œuvre n'est-elle pas, non celle qu'on croit lui donner, mais celle qu'elle est susceptible de prendre par rapport à ce qui l'entoure ? », Les Pas Perdus.
Le pape du Surréalisme a fait du mur de son studio de la rue Fontaine (IXe arrondissement, Paris) une véritable oeuvre d'art. Ce microcosme relate l'aventure de sa vie et du mouvement surréaliste. La toile de Francis Picabia en haut à gauche présente les débuts du mouvement et celle de Juan Miro au centre son accomplissement. André Breton jugeait Miro comme étant " plus surréaliste de nous tous" et confirme cet hommage dans son intérieur. Autour, des objets primitifs (Afrique, Nouvelles Hybrides), hétéroclites, symbolisent le terreau créatif dans lequel l'artiste puise son répertoire de formes. Cette accumulation est aussi le fruit de ses voyages et de son expérience personnelle. Comme garante de cette intimité exposée au grand jour, une photographie de la dernière femme de Breton, Elisa est placée en l'exact milieu de la composition. Breton fait de son mur, recomposé pour être exposé au Centre Pompidou, l'épicentre de son activité artistique, poétique et intime. L'atelier n'est plus représenté, il "fait" oeuvre d'art.